© I came for Couscous, reproduction
interdite.
"Au-delà
du temps écoulé, cette arrivée au Caire lui
paraissait différente des précédentes. Pour
effectuer le trajet de l’aéroport à sa destination
finale, le voyageur se trouvait face à une multitude
d’options – minibus climatisé aux vitres fumées,
taxis londoniens imitant parfaitement ceux de la
capitale britannique, et même taxis à carrosserie
noire et blanche pour les nostalgiques des années
1980 – entre lesquelles on le laissait faire son
choix librement.
Si cela n’avait tenu qu’à lui, il n’aurait jamais
entrepris ce voyage. Il s’était fait à sa vie
parisienne, les promenades dans les forêts
franciliennes, les marches sur les bords de Marne,
les terrasses où il pouvait siroter un verre de vin
tout en prêtant une oreille distraite aux
conversations alentour. Il avait repoussé loin au
fond de lui la nostalgie pour son enfance cairote,
trop douloureuse et qu’un nouveau séjour là-bas
risquait par trop de ternir.
L’appel téléphonique reçu d’Égypte l’avait cueilli à
un moment où il ne repensait plus à son pays que de
loin en loin. «Tu te souviens de ta tante Soraya?»
lui avaient-ils demandé. Comme il s’était contenté
d’un raclement de gorge qui pouvait signifier à peu
près n’importe quoi, ils avaient repris: «Eh bien,
ton Dieu vient de la rappeler à Lui…»
Il s’était retenu de leur crier qu’il ne voyait
guère en quoi cela le concernait.
[…]
Son chauffeur était peu loquace, depuis le début il
n’avait ouvert la bouche que pour s’enquérir de leur
destination. Ne s’étant décidé pour le voyage qu’en
dernière minute, il n’avait rien réservé, se disant
qu’il aviserait sur place en fonction de son humeur.
Depuis, ils roulaient interminablement le long
d’amples autoroutes à quatre voies, qu’ils ne
quittaient que pour emprunter une bretelle menant à
une autre autoroute ou pour s’engager sur un de ces
ponts tellement hauts qu’on ne voyait même plus les
quartiers qu’ils enjambaient. […] Il finit par
s’endormir, tout en rêvant des disputes épiques
qu’il avait eues au téléphone avec ses proches.
[…]
Il se réveilla sur le coup de frein du chauffeur qui
se tourna vers lui en lui indiquant qu’ils étaient
arrivés. Le taxi était immobilisé devant un
somptueux hôtel tout de marbre blanc, dont il put
découvrir la hauteur vertigineuse aussitôt après
avoir mis pied à terre. Les alentours ne lui
rappelaient rien. Il savait que le Caire s’était
agrandi à mesure que les classes les plus riches
s’éloignaient du centre pour aller s’installer dans
des lotissements luxueux aux périphéries de la ville
et y vivre en privilégiés barricadés dans leur
entre-soi. Ici, cependant, on n’était visiblement
pas dans les faubourgs, mais au centre d’une immense
métropole entièrement reconstruite.
«Où donc m’as-tu emmené ? interrogea-t-il. Je ne
reconnais rien.
— Vous m’avez bien demandé un hôtel chic dans la
capitale? répliqua le chauffeur. Eh bien j’ai fait
ce que vous vouliez!
— Mais réponds-moi par un lieu, un nom de quartier,
je ne sais pas moi, Maadi, Zamalek, Choubra ? Et le
Nil, où est-il passé?
— Le Nil??? Mais nous avons pris la direction
opposée, et le fleuve est à plus de soixante
kilomètres d’ici. Où donc le pacha a-t-il vécu
toutes ces années ? Nous sommes dans la Nouvelle
Capitale, mon bey! […] »
——–
La suite de cette nouvelle est à lire dans la
superbe revue d’art "I
came for Couscous" fondée et dirigée par
Mouna Anajjar, qui a pour vocation de "faire
découvrir des nouvelles voix et des esprits créatifs
issus des mondes arabes".