Nous trois ou rien

Vu au cinéma « Nous trois ou rien », de Kheiron (avec Kheiron, Leila Bekhti, Gérard Darmon, Zabou Breitman…)

Synopsis:
D’un petit village du sud de l’Iran aux cités parisiennes, Kheiron nous raconte le destin hors du commun de ses parents Hibat et Fereshteh, éternels optimistes, dans une comédie aux airs de conte universel qui évoque l’amour familial, le don de soi et surtout l’idéal d’un vivre-ensemble.

Mon avis:
Disons-le d’emblée, « Nous trois ou rien » déroute au premier abord, à la fois par son ton et par son casting.
Pour un hommage à des parents opposants politiques au Chah d’Iran, on se serait attendu davantage à un biopic politique ou à une épopée filmée à la Guédiguian ou à la Gatlif, avec sang et larmes. Mais le réalisateur a choisi, pour ce premier film, un ton résolument léger et burlesque, ce qui, sur un tel sujet, était plutôt périlleux (la satire du Chah, par exemple, pourrait évoquer, par ses outrances, Sacha Baron Cohen et son Borat).
Le casting, quant à lui, est encore plus incongru. Leila Bekhti en révolutionnaire iranienne, bon, à la limite on est prêt à voir. Il faut un peu plus de temps en revanche pour s’habituer à Gérard Darmon et Zabou Breitman en parents de Hibat vivant dans un meublé iranien. Même le parler des personnages utilise des intonations et des tics de langage plus plausibles dans une banlieue française que dans les faubourgs de Téhéran.

À ceux que j ‘entends déjà dire « Eh bien, qu’est-ce que ce serait si tu n’avais pas aimé! », je répondrai que les griefs énumérés ci-dessus sont des fausses routes, et qu’il faut laisser le charme opérer.
Car oui, si on veut bien retrouver son âme d’enfant (sans chercher à tout prix les invraisemblances) et accepter le pacte proposé par l’auteur, on ne peut que succomber à l’humour et à l’émotion qui naissent de presque chaque scène de ce film.

Kheiron, lui-même artiste de stand-up, a choisi en effet un style en rapport avec ce qu’il sait faire: dépeindre le réel à l’aide de vignettes tragi-comiques, avec des références plus proches de la bande dessinée que du cinéma.
On avance ainsi dans le récit comme on tournerait les pages d’un album de BD, genre auquel le film emprunte non l’aspect graphique (ce que, sur un sujet proche, avait accompli Marjane Satrapi), mais plutôt le découpage en gags à la Gaston Lagaffe, tandis que la description du contexte historique tirerait plutôt du côté d’Astérix (La Gaulle romaine étant remplacée par l’Iran).

Malgré la dérision omniprésente – et il en faut face au destin moderne de l’Iran, ce magnifique pays passé en quelques décennies d’une dictature quasi-laïque à une théocratie, sans jamais parvenir à dépouiller les Iraniens de leur envie de vivre -, le film sait être grave quand il le faut. Les sévices infligés par le chah à ses opposants politiques ne sont pas occultés, pas plus que l’immense sentiment de tromperie de ceux qui avaient accueilli Khomeiny en sauveur au lendemain de la Révolution.
Il y a aussi des moments de vraie poésie quand on traverse avec Hibat, Ferechteh et leur enfant (les « nous trois » du titre) les montagnes au-delà desquelles ils vont quitter cette belle terre, pour hélas ne plus jamais la revoir.

Il faut enfin parler de la dernière partie du film, celle où, ayant réussi à fuir en France après maintes péripéties, Hibat se met au service de la collectivité en ouvrant un centre d’action sociale dans les quartiers nord de Pierrefitte. Quoique moins spectaculaire que l’aventure initiale, cette nouvelle phase dans l’existence du héros découle tout naturellement de son âme foncièrement rebelle.
Sa transplantation en France l’a seulement fait changer de cible: il ne s’agit plus de combattre la tyrannie d’un autocrate ni l’imposition des signes extérieurs de la foi, mais la fatalité de l’exclusion (consentie ou subie), défi tout aussi difficile et digne de respect.

P.S.: J’ai vu le film bien après sa sortie et dans une salle grand public (donc pas nécessairement très au fait du contexte iranien), et pourtant la fin de la projection a été saluée par une salve d’applaudissements…

Copyright Khaled Osman (décembre 2015)

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