« »Que veux-tu? »
L’avocat réussit à surmonter son embarras, respira profondément. Cette fois, il ne se laisserait pas détourner de son plan. Exactement comme au prétoire.
« Je suis venu pour savoir quelle serait ta réaction si je me rendais chez tes parents et demandais ta main à ton père », déclama-t -il, fidèle à sa décision.
Il voulait lui prouver qu’il n’avait que d’honnêtes intentions. Il manquait de temps et, comme à son habitude, il avait opté pour un certain pragmatisme.
« Quoi? s’écria-t-elle, surprise. Ma réaction, c’est non. Voilà ma réaction. »
L’avocat conserva tout son sérieux, tentant de surmonter l’humiliation qui le submergeait. Il hocha la tête.
« Bien, dit- il. Dans ces conditions, je te prie de m’excuser si j’ai pu te causer du tort. » Il aurait voulu prendre ses jambes à son cou.
« Dis-moi, tu es normal?
– Je te demande pardon, dit- il, n’aspirant qu’à disparaître pour retrouver sa chambre et sa déception à soigner.
– Pourquoi tu me demandes pardon? Je ne te connais pas. Je t’ai vu en tout et pour tout deux secondes, et tu veux demander ma main. Tu te crois au néolithique?
– Je t’avais apporté du chocolat.
– Parfait, sourit-elle.
– Tu l’as jeté?
– Pourquoi? Du chocolat belge de qualité! Tu crois que je suis assez stupide pour le jeter?
– Et alors, qu’en as-tu fait?
– J’ai mangé un morceau et j’ai caché l’autre à cause de ta soeur.
– Tu ne lui en as même pas proposé un morceau?
– Sûrement pas. Ta soeur est infernale.
– Tu vois? répondit l’avocat qui recommençait à espérer. C’est bon signe…
– Bon signe de quoi?
– Tu commences à haïr ma soeur, comme toute femme mariée déteste sa belle-soeur. »
Elle éclata de rire, d’un rire merveilleux, exaltant. »
——-
« La deuxième personne », roman de Sayed Kashua, traduit de l’hébreu par Jean-Luc Allouche, éditions de l’Olivier.