Et ce récit somptueux d’une journaliste qui a pris la poésie pour cavale

Il est en train de se passer quelque chose avec La Demeure du vent, le nouveau roman de Samar Yazbek, puisqu’il y a encore une superbe critique, cette fois signée de Fifi Abou Dib dans L’Orient Le Jour (extrait):

« À un observateur posté très haut dans le ciel, le décor apparaîtrait comme un amoncellement de feuilles et de branches ne laissant émerger que deux yeux à demi masqués par le sang et la boue ».
La main qui écrit entre dans ces yeux-là, les yeux d’Ali, dans ce corps qui n’a pas encore rendu son dernier souffle, dans cet esprit qui se tâte et cherche des indices pour savoir s’il appartient encore au monde des vivants ou s’il en est dissocié. Un enterrement, des cris, sa mère… Mais ce n’est pas lui qu’on enterre, pas encore.[…]
C’était une erreur stupide, cet avion qui survolait la petite patrouille d’Ali, larguant sur les jeunes militaires une bombe qui ne leur était pas destinée. Tous sont morts et Ali est seul avec l’arbre. Il se dédouble ou voit son double. Et sa vie continue à se dérouler devant ses yeux.
« Je ne regarde pas avec mes yeux, je regarde avec ma tête« , lui avait dit La Rouquine. Voilà qu’il l’imite. Cette vieille folle lui avait appris les arbres et tant de choses, lui l’avorton que la communauté tentait de protéger des « fadaises » de la centenaire, et elle qui avait « tout vécu » et qui portait en elle l’histoire, les langues et la géographie de l’Empire ottoman à son agonie.
Tout ce que la Rouquine enseignait à Ali, poésie, Coran, la part animiste de l’alaouisme, sa religion, lui conférait déjà ce regard plongeant, presque astral, activé dans ce moment d’agonie. […]Tout le long du roman, va et vient entre le corps meurtri d’Ali que la nature embrasse et son esprit qui ramène les souvenirs et les rêveries de son bref parcours de 19 ans, même pas 20. À mesure que la vie s’échappe de ses méchantes plaies, il se libère de tout ce qui a pu l’alourdir, à commencer par son pays et les bourreaux dogmatiques qui en ont émergé. Même sa mère est loin à présent. Il y a la lune, il y a l’arbre, il y a l’aube. Et ce récit somptueux d’une journaliste qui a pris la poésie pour cavale, survolant ainsi le réel et l’immense malheur syrien. Avec La Demeure du vent, l’écriture de Samar Yazbek se fait douleur exquise. »

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La Demeure du vent, Samar Yazbek, (trad. Ola Mehanna et Khaled Osman), collection La Cosmopolite, Stock, janvier 2023.

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