Je suis drapé dans le Nil

« Me voici à sa recherche [de son père disparu – à la poursuite duquel il voyage en illumination], m’obligeant à ne pas perdre espoir, allant régulièrement trouver certains proches, le Hagg Abûlgheit, le Hagg Awad, le cheikh Abdellatîf. Chaque fois que je passe les voir, ils me couvrent de reproches et se détournent de moi:
«Pourquoi est-ce que vous poussez votre père à bout, toi et tes frères?»
«Ne savez-vous donc pas tout le mal qu’il s’est donné pour vous?»
Mon cœur s’est serré, j’étais sur le point de protester: «Mais qu’ai-je à voir, moi, avec les manquements d’autrui? Pourquoi me fait-on payer pour une faute que je n’ai pas commise? Après tout, je ne suis qu’en service commandé, je ne fais que passer, je ne suis même pas lui, comment pourrais-je résoudre cette affaire?» mais, apercevant tout à coup le père, j’ai gardé mon objection pour moi…
Je l’ai vu nu comme au jour de sa naissance, son corps était luisant, des gouttes d’eau y étaient accrochées, je lui ai demandé comment il se portait dans son exil éternel; il m’a assuré qu’il allait bien. Je l’ai ensuite interrogé sur ses enfants: était-il satisfait de sa progéniture – je veux dire: de nous? Il a acquiescé silencieusement. Je l’ai questionné sur cette eau qui adhérait à son corps; dans un sourire, il a répliqué:
«Ne vois-tu pas ? Je suis drapé dans le Nil…»
J’ai compris qu’il s’était paré dans une eau prélevée en plusieurs endroits le long du Nil, depuis la source jusqu’à l’estuaire. »

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Extrait du roman Le Livre des Illuminations, de Gamal Ghitany, trad. Khaled Osman, Seuil, 2005.

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