200 mètres

L’Institut du monde arabe à Paris poursuit son excellent programme intitulé « Ce que la Palestine apporte au monde », un ensemble de manifestations embrassant toutes les disciplines: je vous ai déjà parlé du concert du trio Joubran, ainsi que de l’entretien réalisé par Judith Abensour avec Sadia Agsous autour de son dernier ouvrage « Derrière l’hébreu, l’arabe ».

Côté cinéma, il y avait eu la projection du film d’Elia Suleiman « It must be heaven », dont la puissance et l’étrangeté n’ont pas pris une ride, et samedi dernier (8 juillet) avait lieu une nouvelle projection à l’auditorium, l’occasion de voir (ou de revoir) le film « 200 mètres » du réalisateur palestinien Ameen Nayfeh, avec Ali Suliman (Mustafa), Anna Unterberger (Anne), Lana Zreik (Salwa), Ghassan Abbas (Abou Nidal).

Résumé
Mustafa d’un côté, Salwa et les enfants de l’autre, une famille vit séparée de chaque côté du Mur israélien à seulement 200 mètres de distance. Ils résistent au quotidien quand un incident grave vient bouleverser cet équilibre éphémère. Pour retrouver son fils blessé de l’autre côté, le père se lance dans une odyssée à travers les checkpoints, passager d’un minibus clandestin où les destins de chacun se heurtent aux entraves les plus absurdes.

Avis
Bien qu’on puisse le rattacher à la catégorie des road movies, puisqu’une grande partie du film est passée à suivre le parcours motorisé des protagonistes, celui-ci est d’un genre très particulier.
D’abord en raison du trajet lui-même: il ne s’agit pas ici de fuite linéaire par laquelle on s’éloigne d’un lieu familier en traversant de grands espaces inviolés, mais plutôt d’une boucle pour gagner un endroit très proche à vol d’oiseau, mais rendu d’un accès absurdement difficile par la politique d’occupation. La tension provient de la nécessité pour Mustafa de se rendre au chevet de son fils blessé, à l’hôpital qui se trouve de l’autre côté du Mur de séparation. Le film installe ainsi une tension de tous les instants (on retient son souffle à chaque fois qu’un obstacle vient arrêter le véhicule).
C’est là l’autre grande différence avec le road movie traditionnel (où les fuyards essaient d’éviter au maximum les interactions avec les autorités), ici il leur faut au contraire, s’ils veulent atteindre leur destination à temps, aller vers obstacles – les innombrables check-points – pour les franchir.

Le réalisateur a réussi à faire un travail solide sur la caractérisation des personnages, au premier rang desquels le couple formé par Mustafa et Salwa, extrêmement crédible et attachant, avec lui qui se débat pour travailler afin d’être à la hauteur de ce que lui dicte son honneur masculin, et elle qui se charge de lui rappeler les contraintes pragmatiques auxquelles ils sont soumis. Pour éviter que leurs enfants souffrent par trop de cette séparation de la famille (leur père ne vit pas du même côté du Mur), Mustafa a mis en place un rituel poignant qu’ils accomplissent tous les soirs.
Les passagers du minibus forment quant à eux une palette de personnages aux intérêts différents, voire antagonistes, ce qui ne manque pas d’attiser les tensions jusqu’à les mettre parfois en danger: Rami, un jeune qui souhaite travailler en Israël, Kifah, qui doit se rendre à un mariage, et Anne, une jeune documentariste allemande qui a demandé à Kifah de l’aider à tourner un reportage sur la vie quotidienne des Palestiniens.

À un moment du voyage, tandis qu’Anne voyage à l’avant côté passager, les Palestiniens du groupe sont contraints de se dissimuler dans les coffres des deux véhicules. Tandis que cette étape s’éternise, ils sont bientôt sur le point d’étouffer par la faute de la chaleur et du manque d’air. On ne peut pas ne pas penser alors à la nouvelle de Kanafani « Des hommes dans le soleil » (ou, pour rester sur les images, au film « Les dupes » qu’en avait tiré le cinéaste égyptien Tawfiq Saleh), où trois réfugiés des camps faisaient le voyage tragique dans un camion-citerne.

Le scénario de « 200 mètres » reste néanmoins très original en ce qu’il détaille les soupçons de trahison qui naissent entre les protagonistes et les querelles qui ne manquent pas de les opposer.
Ameen Nayfeh s’abstient de trop appuyer son propos (les checks points peuvent donner lieu à des situations encore plus tragiques impliquant des femmes enceintes, des enfants malades ou des personnes âgées, et les contrôles sont rarement aussi bienveillants que celui de cette soldate israélienne qui se renseigne auprès d’Anne pour l’achat d’un appareil photo), et pourtant il montre bien comment les déchirements qui surviennent entre les protagonistes, fondés sur la peur, la menace et la trahison, sont eux aussi la conséquence d’une politique d’occupation inhumaine.

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